mercredi 5 février 2020

«Sourire de Reda» : Une nouvelle campagne de sensibilisation au suicide des jeunes


L’association Sourire de Reda lance aujourd’hui sa nouvelle campagne de sensibilisation au suicide des jeunes. Depuis sa création il y a dix ans, elle revient sur les défis qu’elle a relevés et ceux qui l’attendent.


Onze ans que le «Sourire de Reda» tente d’aider les jeunes en souffrance et de prévenir le suicide. A l’occasion du lancement de sa campagne annuelle de prévention du suicide, qui a lieu du 3 au 16 février et à nouveau sous le slogan «Ana m3ak», l'association est revenue, lors d’une conférence de presse ce mardi 4 février, sur les axes phares de son combat depuis sa création en 2009.

Au commencement, le chantier fut énorme. Non pas qu’il manquait de structures d’écoute et de prévention de suicide : il n’y en avait tout simplement pas. «Aucune structure d’aide n’était présente au Maroc avant notre association. Il nous a donc d’abord fallu répondre à une urgence», se souvient Meryeme Bouzidi Laraki, présidente-fondatrice de l’ONG. Elle se rappelle aussi combien les difficultés se sont accumulées lorsqu’il a été question de «parler du suicide» tant les tabous sont tenaces.

«Il y a dix ans, nous étions persona non grata dans les établissements scolaires. Aujourd’hui, les écoles nous sollicitent pour organiser des ateliers de sensibilisation», se félicite la responsable associative, qui mesure le chemin parcouru. Les modules se veulent adaptés à l’âge des élèves, mais aussi tournés vers les professionnels (enseignants, infirmières, psychologues) et les parents. Parmi les thématiques abordées, la violence morale, verbale et physique, notamment le harcèlement et le cyberharcèlement.

De la difficulté à se faire comprendre…

L’enjeu fut également d’adapter les structures d’écoute à la pluralité des dialectes et des langues au Maroc. Français ? Darija ? Anglais ? Les membres de l’association se sont longtemps concertés sur la pertinence de la langue afin de permettre aux jeunes en souffrance de pouvoir se confier dans celle où ils se sentent le plus à l’aise. «Nous ne savions tout simplement pas en quelle langue communiquer», se remémore Meryeme Bouzidi Laraki.

La directrice, Myriam Bahri, relève de son côté «une faible utilisation du champ lexical des émotions en français» et «sa pauvreté en darija». La solution fut toute trouvée : la helpline d’écoute par chat, hébergée par l’association, gratuite et confidentielle, est disponible en français, en anglais et en darija. Accessible depuis toutes les régions du Maroc à travers le site www.stopsilence.org, elle est composée d’une équipe de 15 écoutants formés à l’écoute, à l’évaluation et à la gestion du risque suicidaire chez les adolescents. Plus de 2 500 échanges ont été traités depuis sa mise en place en 2011, dont 350 en 2019.

Dans le sillage de cette prévention, l’association est membre de l’ONG Befrienders Worldwide (représentants Maroc), qui vient en aide aux personnes envisageant le suicide ou en proie à une détresse émotionnelle. Elle est présente dans 32 pays avec 349 centres d’écoute.

…et à identifier ses émotions

Mais encore faut-il trouver les bons mots. Parmi les adolescents qui sollicitent les services de l’ONG, beaucoup peinent à identifier leurs émotions, et ainsi à mettre des mots sur leur souffrance, explique Myriam Bahri. «Il y a une sorte de distanciation réflexe des émotions, jugées envahissantes», abonde la psychiatre Zineb Iraqi, membre du bureau de l’association.

Pour leur venir en aide, l’ONG expérimente avec eux la «Roue des émotions», un outil développé par le psychologue américain Robert Plutchik, dont les recherches ont notamment porté sur le suicide, afin d’illustrer la palette des six émotions primaires (tristesse, colère, joie, peur, dégoût, surprise) et leurs nuances. «Les expressions utilisées ont été formulées par des groupes de jeunes bénévoles dans un langage adapté à leur génération, en français et en arabe dialectal», indique l’association.

L'association ne fait pas qu’ouvrir ses portes ; elle en pousse aussi d’autres, notamment celles du ministère de la Santé. En octobre dernier, Meryeme Bouzidi Laraki nous avait dit avoir entamé «un travail de réflexion» avec le ministère pour «la mise en place d’une stratégie nationale». Une chose est sûre : cette stratégie «comprendra notamment la mise en place d’un registre national». Les autorités ont déjà commencé à se saisir de la problématique à bras le corps : en 2014, le Maroc a officiellement reconnu le suicide en communiquant, par le biais du ministère de la Santé et de la gendarmerie royale, des chiffres officiels. Avant cela, aucune donné n’était sortie des tiroirs des pouvoirs publics.

Les femmes se suicident plus que les hommes au Maroc

Côté chiffres justement, l’association a recensé 1 628 suicides en 2012 au Maroc. De plus, 14% des 13-15 ans déclarent avoir fait une tentative de suicide et 58,5% des jeunes en souffrance n’en parlent pas, selon un sondage en ligne réalisé par l’ONG entre 2013 et 2018 auprès de 1 245 jeunes de 10 à 25 ans. Quant aux statistiques élaborées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elles indiquent que le Maroc est le deuxième pays arabe où les femmes se suicident plus que les hommes : 1 013 suicides ont été recensés en 2016 dans le royaume – 400 chez les hommes et 613 chez les femmes.

Le suicide est aussi un traumatisme pour les proches : «Lorsqu’une personne se suicide, 135 personnes en moyenne sont affectées», estime Meryeme Bouzidi Laraki. Son mot de la fin, la présidente de l’association le dédie aux adultes en proie à des pensées suicidaires : «Notre association est effectivement tournée vers les jeunes, mais les adultes peuvent aussi nous contacter. Nous sommes la seule association à parler du suicide.»

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