mardi 29 janvier 2019

Le patron du BCIJ dévoile pour la 1ère fois tous les détails de la tragédie des 2 randonneuses scandinaves à Imlil ou presque


Au Maroc l’horrible crime d’Imlil fait couler encore beaucoup d’encre, et ce, depuis des semaines. Le directeur du Bureau central d’investigation judiciaire (BCIJ), Abdelhak Khiame, est revenu dans une interview sur les détails du crime terroriste d’Imlil, au pied du Haut Atlas, commis avec sang froid par des islamistes radicaux en décembre dernier, et dont les victimes ont été deux jeunes touristes scandinaves originaires du Danemark et de la Norvège.
Voilà par ailleurs la transcription intégrale de cette interview réalisée par TelQuel, diffusée par le site Aljareeda :
« Le 17 du mois dernier a été découvert par un couple de touristes deux corps décapités dans la zone de Chamharouch dans les environs d’Imlil. Aussitôt, les autorités locales ont été averties et en ont informé, à leur tour, la brigade de la gendarmerie. Lorsque nous avons été, nous aussi, informés nous avons commencé à coordonner avec les services de la gendarmerie royale et de la police judiciaire de la ville de Marrakech. Car, il s’est avéré que cet acte a une connotation terroriste.
En coordination avec ces services de sécurité nous avons envoyé nos équipes d’investigation sur place. Les gendarmes se sont occupés des premières constatations qui ont montré que les deux passaient la nuit à un endroit isolé où elles ont installé leur tente avant d’être attaquées par des personnes. Non loin de cette tente, les gendarmes ont découvert à quelque 150 mètres une autre tente où ils ont trouvé une carte d’identité nationale appartenant à un individu ainsi que des traces de sang. Nous avons laissé les gendarmes et les éléments de la police technique et scientifique travailler sur la scène du crime et nous nous sommes lancés dans les investigations avec la police judiciaire de la ville de Marrakech après avoir informé le parquet général compétent de Rabat chargé du terrorisme et aussi le parquet général de Marrakech.
Les recherches ont été lancées sur l’individu auquel appartient la carte d’identité nationale et les personnes qui lui sont proches. Il s’est avéré, après les investigations menées par le BCIJ, que cet individu en compagnie de 3 autres ont quitté la ville de Marrakech le 14 et qu’ils avaient été dans la zone (du crime).
+ Ils ont fabriqué un étendard de l’État islamique +
La gendarmerie a eu recours aux caméras de surveillance placées dans les sites touristiques, mais sans résultat.
Nos recherches ont montré que cet individu était accompagné de 3 autres personnes dont une a été identifiée et qu’elle se trouve dans la ville de Marrakech et par conséquent elle a été la première à être arrêtée par le BCIJ en collaboration avec la police judiciaire de Marrakech.
Lors de son arrestation, cette personne a résisté aux policiers et a sorti un poignard mais nos éléments l’ont maitrisé et l’ont présenté aux services de la police judiciaire pour y être interrogé. Des éléments du BCIJ ont été parmi les policiers qui ont auditionné cet individu qui a, immédiatement, révélé l’identité des individus qui étaient avec lui dans la zone (du crime) reconnaissant que ce sont ces derniers qui ont commis l’acte criminel dont ont été victimes les 2 touristes scandinaves, une danoise et une norvégienne.
Après la coordination avec le parquet général, il a été procédé au transfert du dossier à ce service pour l’approfondissement de l’enquête et, aussi, des équipes ont été chargées de la recherche des autres individus.
L’individu arrêté a déclaré qu’il est affilié à l’Etat islamique et qu’il était accompagné de 3 personnes dont « l’émir » de la cellule et qu’ils s’étaient mis d’accord (pour passer à l’action), le soir du 12 décembre, avant de rejoindre Chamharouch. Il a dit que ces individus appartiennent à un large réseau qui compte plusieurs autres individus qui se rencontrent régulièrement pour préparer un projet terroriste au Maroc devant viser essentiellement les forces de sûretés, les touristes ou certaines manifestations dont le festival Gnaoua et une synagogue à Essaouira et des sites touristiques à Agadir… et il y avait avec eux l’émir dont la carte d’identité a été trouvée.
L’individu nous a fourni tous les renseignements. Le 12 du mois, les 4 individus ont convenu de passer à l’action et de partir avec des moyens légers comme des couteaux et d’aller chercher des touristes loin des yeux de la police à Marrakech, car ils savent que les touristes fréquentent les environs de la ville comme Imlil, Asni…et ils pensaient que l’opération serait facile dans de telles zones.
Alors le lendemain, le 13 décembre, ils ont décidé de prêter allégeance à l’Etat islamique avant de commettre leur acte. Dans la maison de cet individu, ils ont fabriqué un étendard de l’Etat islamique et filmé une vidéo de leur allégeance, vidéo qui a été diffusée sur internet. Puis, ils se sont donnés rendez-vous le lendemain très tôt le matin pour aller repérer leurs victimes. Ils se sont effectivement rencontrés le lendemain, le 14 décembre, à Marrakech, ils sont partis à bord de 2 motos puis ils ont pris un grand taxi pour se rendre à Imlil avec l’idée de commettre leur acte et avait prévu de couvrir les corps de leurs victimes avec l’étendard de l’Etat islamique (EI).
+ Un touriste Britannique l’a échappé belle +
Sur leur route, une patrouille de la gendarmerie a arrêté le taxi. Comme ils avaient pris avec eux une tente et leurs couteaux, ils avaient convenu auparavant que si les gendarmes insistent pour les fouiller ce serait leur premier acte terroriste. Cependant, les gendarmes n’ont pas insisté pour les fouiller et les individus en question ont pu continuer leur route.
Arrivés à Imlil, ils sont montés à pied dans la montagne. Ils ont cherché un objectif. Ils ont trouvé plusieurs touristes mais les circonstances n’étaient pas convenables, soit ces touristes étaient accompagnés de guides soit il y avait la présence de citoyens marocains dans la zone. Ils y ont passé la première nuit et la 2ème nuit. Le 16 décembre matin, l’individu chez qui ils s’étaient réunis les quitte pour retourner à Marrakech en leur assurant de son soutien et qu’il leur préparera une planque après l’opération. Mais à son retour, il a oublié et il a gardé avec lui l’étendard qu’il a brulé en route. Il a repris sa moto et a retourné chez lui.
Toutes ces personnes se contactaient entre elles et avec les autres membres de la cellule à travers l’application Telegram.
Ils ont continué leur recherche d’une cible mais en vain. Ils ont rencontré des touristes en randonnée à bicyclettes, d’autres avec des guides puis un touriste britannique âgé qu’ils ont interrogé et qui leur a dit qu’il était musulman.
Vers 19 heures, alors qu’ils descendaient de Chamharouch, ils ont aperçu les deux touristes qui, elles montaient pour bivouaquer. Ils se sont dits qu’ils ont trouvé leur objectif. Ils se sont éloignés d’elles de quelque 150 mètres. Les deux touristes ont planté leur tente dans cet endroit isolé. Les terroristes ont eux aussi planté la leur et ont programmé le réveil du téléphone pour se lever à minuit.
Ils se sont effectivement réveillé à minuit et se sont dirigés avec leurs couteaux vers la tente des deux touristes. Ils se sont assurés qu’il n’y avait personne dans les alentours. Ils ont émis un son pour réveiller les victimes. Ces dernières se sont levées. Ils ont alors ouvert la tente et ont poignardé l’une d’elles. Puis, l’émir de la cellule et l’autre individu ont pourchassé la touriste qui a pris la fuite pendant que le 3ème individu s’occupait de la première victime. Ils les ont égorgées et décapitées en tenant des propos comme quoi qu’il s’agit de la vengeance de leurs « frères » en Syrie, des mots que prononcent généralement les éléments de l’EI.

+ Le crime a été exécuté entre minuit et 1 heure du matin le 17 décembre 2018 +

Après avoir accompli leur crime entre minuit et 1 heure du matin, ils ont pris la fuite en laissant derrière eux leur tente et leurs affaires et celles des victimes.
Les deux victimes ont été soumises à l’autopsie qui n’a révélé ni viol, ni vol et donc c’était un acte terroriste.
Alors que nous avons arrêté le premier individu, les recherches se sont poursuivies pour trouver les autres qui, pendant deux jours, ont cherché où se cacher. Mais auparavant, ils avaient informé les autres éléments de la cellule, qui allaient être arrêtés par la suite, de leur acte et même de leur allégeance, acte que ces derniers ont salué en affirmant qu’ils passeront eux aussi à l’acte.
Tous ces individus et un Suisse, qui allait se joindre à cette cellule, préparaient des projets d’attentats. Ce Suisse projetait de rejoindre les zones conflit mais avait finalement décidé de rester avec eux et de commettre des actes terroristes au Maroc. C’est lui, d’ailleurs qui leur a suggéré d’utiliser l’application Telegram. Il les a incités au Jihad au Maroc, un pays qui n’applique pas la religion de Dieu. Il leur a proposé d’attaquer les patrouilles de la police et de la gendarmerie dans les points de contrôle, les tuer et prendre leurs armes pour créer une wilaya de l’EI au Maghreb.
Avant l’arrestation des 3 individus impliqués directement dans l’assassinat des 2 touristes, il s’est avéré que la personne dont la carte d’identité avait été trouvée avait des antécédents dans le terrorisme et qu’elle avait été transférée à la police judiciaire en 2014 alors qu’elle tentait de rejoindre les zones de conflit en Syrie ou en Irak. Elle avait été condamnée à 3 ans de prison mais avait bénéficié en appel d’une réduction de peine et n’a passé qu’un an et un mois en prison. Mais pendant son incarcération, cet individu était resté attaché à toutes ses convictions et avait des contacts avec d’autres personnes en prison qui sont impliquées dans des actes terroristes.
A sa libération, en 2015, il a commencé à chercher à commettre un acte terroriste. Il a essayé d’obtenir un autre passeport et partir en faisant croire qu’il a perdu son passeport alors qu’il avait été confisqué lors de son arrestation en 2014. A cause de son mensonge aux autorités, il a été arrêté et condamne à 3 mois de prison avec sursis. A ce moment, il a commencé à penser un acte au Maroc et dans cet objectif il devait enrôler d’autres personnes dans cette organisation. Il a contacté plusieurs personnes qu’il a enrôlées tout en prenant un maximum de précautions en tenant des réunions à des endroits isolés loin des yeux des sécuritaires.
Après leur acte criminel à Imlil, ils ont passé la nuit dans les montagnes et des endroits d’accès difficiles. Mais, ils avaient contacté un membre de leur réseau et l’émir de la cellule leur a donné 1200 dh pour quitter Marrakech en direction de la ville d’Agadir puis vers Laayoune en vue de s’infiltrer en territoire algérien et de gagner Daech au sud de la Libye. Mais, nous savions qu’ils devront chercher un moyen de transport.
Une fois qu’ils sont retournés à Marrakech, ils ont essayé de prendre le bus en dehors de la gare routière mais aucun bus ne s’est arrêté pour eux. Ils étaient obligés d’aller donc à la gare routière et là ils étaient sous les yeux des éléments du BCIJ qui n’ont pas procédé à leur arrestation à cet endroit de crainte qu’ils aient sur eux des explosifs et provoquer de nouvelles victimes. Les éléments du BCIJ ont attendu que le bus quitte la gare routière et là ils ont procédé à l’arrêt du bus et sont intervenus avec prudence. Lorsqu’ils les ont arrêtés, ils ont découvert qu’ils avaient toujours sur eux les armes du crime. Ils les ont amenés au centre du BCIJ pour les interroger sur les circonstances et les mobiles de leur acte. Leurs vêtements portaient encore les traces de sang qu’on a remis au laboratoire comme preuves.
Lors de leur interrogatoire, ils ont reconnu tous les faits et tout le processus que je viens d’évoquer y compris l’identité des autres individus de leur réseau qui compte 22 membres dont le Suisse. Toutes ces personnes ont été arrêtées et interrogées et il s’est avéré qu’il y avait un grand plan en préparation par cette cellule visant les touristes, les auxiliaires de l’autorité, le festival de Gnaoua, une synagogue mais surtout les touristes à Agadir et à Marrakech.
Chacun d’eux, selon le degré de son implication, a interrogé et présenté à la justice car toutes les preuves étaient réunies ».

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